Jeudi 17 octobre dès 18h
A Frivolous Waste of Time
Chaïm Vischel
(Travail du verre en collaboration avec Chloé Lorong)
L’installation de Chaïm Vischel, A Frivolous Waste of Time, pose la question de la résistance des femmes et des queer dans l’espace public, en se jouant des paradoxes de la visibilité et de l’invisibilité. Cette pièce associe des fragments de corps et de visages en silicone avec des formes anciennes de contenants de maquillage en verre, ouvrant de fait un dialogue entre la matérialité, l’histoire des corps et les enjeux d’une féminité exprimée ou anonymisée. Il en va de l’écriture d’une autre histoire, celle de « la chose dans laquelle on met d’autres choses » (Ursula K. Le Guin, « La théorie de la Fiction-Panier », 1986).
« Découvrir le pot aux roses » revient à révéler un secret bien gardé. Au Moyen Âge, les « roses » se réfèrent aux choses secrètes de l’amour et le « pot » est le contenant à parfum ou à cosmétiques dans lequel les femmes cachent les objets ou les lettres d’amour. L’installation de Chaïm Vischel s’articule autour de cette idée que le maquillage, outil traditionnellement lié à l’esthétique féminine, est à la fois une manière de se montrer et un geste de camouflage. Si le maquillage répond à une injonction à la féminité qui impose des normes de beauté et de propreté, il peut aussi être perçu comme un stratagème défensif de dissimulation, un masque qui protège du regard extérieur. Dans cette dualité, se dessine un plan de résistance.
Elsa Dorlin, dans son ouvrage « Se défendre. Une philosophie de la violence », 2017, souligne que la défense est une question de survie pour tous·tes les personnes qui ne correspondent pas aux normes dominantes de la société. Le maquillage, dans ce contexte, peut être vu comme une arme ambivalente : il accroche le regard tout en silenciant des aspects de soi qui pourraient être perçus comme déviants ou menaçants.
Développés avec la designer-souffleuse de verre Chloé Lorong, les contenants en verre renvoient à cette idée de transparence et de dissimulation. Comme l’évoque Walter Benjamin, “ Glass is, in general, the enemy of secrets ” : il ne permet ni de cacher, ni de se cacher. Le verre révèle tout, et dans cet espace de transparence et de fragilité, il n’y a nulle part où se soustraire au regard des autres. C’est ce que Charlotte Beradt a montré dans « Rêver sous le IIIe Reich », 1981, en mettant en évidence le rêve récurrent de la maison de verre durant la période nazie. En ce sens, l’enveloppe translucide est aussi une manière de contrôler et surveiller les corps.
Quant au silicone, ductible et amorphe, il prend une fonction opposée à celle du verre. Substrat de la peau, il devient une seconde couche, à la fois enveloppe protectrice et extension des corps. Dans le même temps, les fragments et les visages agissent comme des muqueuses, percent des ouvertures et se laissent traverser par la lumière. Ces passages poreux se réinventent à chaque intersection des singularités — qu’elles soient liées au genre, à l’identité queer, à l’origine ethnique ou à toute forme d’altérité.
Ce jeu entre visibilité et invisibilité trouve également un écho dans des références au Lavender Language et au slang. Ces langages codés, souvent utilisés par des communautés marginalisées comme les personnes queer, permettent de créer un espace de communication clandestine dans une société qui les éclipse ou les ostracise. Ce sont des formes de résistance confidentielles, des codes connus seulement des initié·e·s, qui fait du quotidien un avant-poste permanent. Dans A Frivolous Waste of Time, les signes gravés proviennent de différentes sources, mais leur cryptage par l’artiste rend leur lecture impossible aux profanes. Ce langage secret est ainsi une forme de stéganographie – une manière de dissimuler des informations sensibles dans ce qui semble être un simple artifice esthétique, frivole et superflu. Seul·e un·e destinataire légitime saura que le message lui est destiné.
Elora Weill-Engerer
Capsule visible 24/7 depuis le passage des Halles de l'Ile