jeudi 16 novembre dès 16h
22 3/4
L’Oiseau dans l’espace que Brancusi expédie en 1928 par navire pour être exposé à la Brummer Gallery de New York est soumis à des droits de douane à son arrivée sur le territoire américain car on refuse de le considérer comme une œuvre d’art. Un an plus tard, le lendemain de la publication d’un long processus de jugement, des photographies de la sculpture paraissent dans la presse, ironiquement légendées : « C’est un oiseau ! ». L’artiste est reconnu dans son droit.
On raconte que cet oiseau rond et élancé aurait été de couleur bleu électrique. Raison qui motive Alla Malova à rejouer une même gamme de tons sur un objet tridimensionnel de sa création. Une manière de s’inscrire dans le sillage des sculpteurs qui l’ont précédée et de rendre tangible le questionnement récurrent qui imbrique une argumentation juridique – appuyée sur les règles formalisées du droit – et une argumentation esthétique –, s’appuyant sur des conventions informelles décidant du sens commun de l’art.
Alla Malova s’illustre particulièrement dans l’abstraction sculpturale. Cherchant constamment à sortir des sen- tiers battus, elle transpose sa formation en bijouterie et en céramique à d’autres matériaux – des objets trouvés, en passant par le verre, l’acier, le plâtre, le bronze, le polystyrène ou le plomb. Avec les années, elle a développé un goût pour l’imprévisible, l’inattendu – de celui qui survient dans le processus même des techniques employées. L’imprédictibilité technique de la cuisson et du four comme de la fonte ne se laisse en effet jamais complètement apprivoiser. Il s’agit de maintenir un équilibre entre un savoir-faire et un lâcher-prise. En céramique contempo- raine par exemple, c’est ce qui donne lieu depuis quelques années à une pratique dite sloppy (négligée), jouant délibérément avec une esthétique amateure. Alla Malova avance par moments sur cette voie en développant un travail à l’apparence très libre, nous invitant à y lire une évocation des écueils qui se rencontrent sur le chemin de la vie.
Si l’expérimentation est le mot d’ordre pour elle, sa capacité à se laisser surprendre est une source constante de motivation. 22 3/4 – un bronze patiné réalisé à partir du moulage d’une boîte de télévision – met ici en lumière son attirance pour le métal, ou plutôt pour le miracle que peut être la transformation des métaux alimentée depuis des siècles par les songeries pseudo-scientifiques sur lesquelles se sont fondés les mythes alchimiques. Jouant à la fois sur le poids d’une matière travaillée au corps et sur une tranquillité méditative induite par la couleur, cette masse sculpturale se confond volontairement avec le fond de son écrin. Ton sur ton. Il en résulte une expé- rience quasi picturale, ouvrant notre regard à la contemplation. Un peu comme Yves Klein le proposait avec son fameux International Klein Blue. Mais là, en plus, Alla Malova donne à voir le négatif d’une télévision – sa boîte de transport en polystyrène – affirmant l’absence de fonction utilitaire de cette forme. Une preuve par la négative qui permit de distinguer l’œuvre d’art d’un objet industriel dans la fameuse affaire « Brancusi contre les États-Unis ».
Karine Tissot
mardi - samedi 14h/18h