jeudi 9 mai dès 18h
performance à 19h
Mordicus
Une exposition de Stéphane Blumer
Mordicus (adverbe, latin mordicus, en mordant). familier. Avec une fermeté opiniâtre.
Ex : soutenir mordicus une opinion.
Mor-di-cus. Trois syllables pour trois installations au sein d’une même exposition. Un titre qui grince d’entrée, comme pour amener un peu d’humour dans un contexte chargé. Les travaux qui s’exposent aujourd’hui à Halle Nord résultent d’une année de travail. Ce sont ainsi trois volets qui se déploient : le premier, performatif, Nolens Volens, le deuxième, une installation vidéo, Hic et Nunc, et Atelophobia, le troisième, une installation murale.
Si les trois travaux ont été prévus pour dialoguer ad finam dans un même espace, le premier se déroule en deux temps. Il réunit 215 drapeaux du monde entier – y compris ceux d’états auto-proclamés – étendus sans hiérarchie ni ordre particulier sur des cordes à linge dans la cour des Halles de l’île. Un foisonnement de couleurs est soudainement situé en plein cœur de Genève et dessine une mosaïque aérienne. Celle-ci renvoie à la vision de notre société, telle qu’elle souhaite se définir en termes de frontières et de politiques. Il n’est pas prévu que cette lessive du monde domine le passage durant toute l’exposition. Les cordes seront défaites, le temps d’une performance, par des personnes à l’âge respectable – avec lesquelles Stéphane Blumer a travaillé dans le cadre de plusieurs workshops (1). Ramassés en boules avant d’être disposés dans l’espace de l’exposition, les drapeaux seront réduits à des « balles » de couleurs, – des « petits patriotes », pour reprendre les termes de l’artiste –, réaffirmant l’abstraction de leur propre symbolique. Rappelons que l’idéal de l’état-nation serait d’incorporer des personnes d’un même socle ethnique et culturel, quand bien même la plupart des états s’avèrent être polyethniques. Si d’aucuns ne peuvent comprendre la valeur de ce concept sans explications préalables, les personnes qui ont déjà une vie derrière elles n’ont souvent plus envie de croire à cette idéologie née au XIXe siècle. Raison pour laquelle Stéphane Blumer leur demande de défaire l’installation flottante, de la faire descendre de sa position autoritaire pour la réduire en quelques gestes à de petites choses ponctuant le sol. Un travail qui illustre parfaitement le terrain de recherches de Stéphane Blumer, sis au croisement des arts plastiques et des sciences sociales.
« Nous sommes en plein dans le processus de l’Apocalypse », annonce-t-il. C’est dans une installation vidéo intitulée Hic et Nunc qu’il tend à démontrer que notre société est déjà en train de s’effondrer. À force de collecter des bandes-annonces de films dystopiques ou utopiques – de Metropolis datant de 1927 à des productions plus récentes –, Stéphane Blumer a accumulé quelque 600 extraits et une trentaine d’heures de rushes. En veillant à ôter toutes les scènes où l’être humain serait trop présent, il ne retient qu’une iconographie ressemblant à un cataclysme sans équivalent, où les voitures explosent, les immeubles s’affaissent entre deux moments d’accalmie, qui pourraient presque faire penser à des visions idéales d’avant et d’après la catastrophe. Tricotées entre elles pour une sélection de 66 minutes, ces images ont perdu leur bande son originale au profit d’une ambiance sonore recomposée librement, créant un lien ininterrompu entre ces scénarios disparates.
Enfin, tel un décor au fond d’une scène, Atelophobia, un papier peint, constitue le troisième volet de « Mordicus ». Si la performance Nolens Volens générait un déplacement, si l’installation vidéo Hic et Nunc est en mouvement constant, Atelophobia se présente comme l’arrêt sur image d’une foule en délire dont les revendications auraient été censurées. Cette dernière est composée à partir d’images principalement glanées sur la toile, de manifestations, de grèves, de publics divers, rappelant combien nos stades, nos aéroports, et nos rues sont comparables à des fourmilières. Autant de situations où l’individu se fond dans la masse pour une cause commune. Sur les pancartes et autres supports à disposition, à la main, Stéphane Blumer a égrené une liste de mots se terminant par -isme. Atelophobia signifierait « la peur de ne pas faire assez bien » ou « la crainte de l'imperfection ». À force de -ismes – suffixe employé essentiellement pour désigner les traits de caractère, les idéologies, les métiers ou certains courants d’art – le monde n’est-il pas présenté une fois encore sous son aspect le plus cryptique, voire artificiel ?
Karine Tissot, avril 2019
(1) Ateliers organisés avec Stefania Cazzato et le Groupe de danse contemporaine des aînés au Forum de Meyrin, le collectif “Mouvement et créativité”.
mardi - samedi : 14h/18h