Vernissage:
jeudi 18 janvier 2024 dès 16h
S’accrocher, 2022
Une peinture ?
De loin, son encadrement de bois blond – dit « à l’Américaine » – pourrait le laisser penser. Mais lorsqu’on la considère de plus près, l’œuvre relève sa véritable nature.
Une tapisserie.
Une tapisserie comme il s’en fait de tout temps et sur tous les continents. Avec ses tons, ses formes, ses lignes et ses reliefs, ses points, ses nouages et ses surfilages. Le résultat de savoir-faire ancestraux, transmis de génération en génération. Un art du lien, mené du bout des doigts.
Les techniques utilisées ici sont des plus traditionnelles, quoi que détournées à l’occasion d’un renouvellement des usages. Le matériau, lui, est de nature à susciter sinon l’étonnement, du moins le questionnement. Car l’œuvre a été tissée à partir de morceaux de cordes marines usagées et de lamelles de tissu découpé. Plus précisément, du coton. Rose et bleu. De celui dont on confectionne les langes d’enfants. Le tout a été soigneusement assemblé sur un canevas qui pointe par endroits, s’offrant brièvement à notre vue, étonnante couture apparente. Une trame métallique, façon grillage à poule, qui n’a pas manqué de blesser les mains de l’artiste, laissant ici ou là quelques gouttes de sang.
C’est, qu’au-delà d’être un objet qui suscite l’émotion esthétique, avec sa composition abstraite, ses teintes tout à la fois douces et inquiètes, S’accrocher est une tapisserie de son temps. Une création, textile qui entrelace enjeux artistiques et sociétaux pour tisser un récit de son époque. De notre époque. Celle qui éparpille des habits déchiquetés sur des plages où le rêve s’est tragiquement échoué. Celle qui voit des barrières de béton ou de fer générer toujours plus d’accrocs sur les esprits et sur les chairs. Celle des migrations – politques, économiques, écologiques – qui poussent des millions d’êtres par-delà les frontières et les mers, à se jeter à l’eau pour survivre ou pour trouver un ultime repos.
C’est justement face au Rhône que S’accrocher s’offre au regard des passant·es. Là où il y a quelques semaines encore, un mineur afghan non accompagné, le troisième en deux ans, renonçait et choisissait de se laisser couler. Incapable de s’accrocher plus longtemps à un simili de vie sans répit.
Brodé de gravité, S’accrocher n’en refuse pas moins le fatalisme. Délicate à l’œil comme à l’âme, elle invite à prendre son titre au pied de la lettre. S’accrocher. S’entraider. Se mettre ensemble pour faire acte de communauté. De par ses dimensions (176 x 124 cm), l’œuvre a d’ailleurs nécessité la présence de deux personnes au minimum pour atteindre le centre du tissage. Ce centre fait de fils de bijouterie, comme pour mieux rappeler la valeur inestimable et non négociable de la vie.
Car à l’imposition, Vanessa Riera préfère la suggestion. Avec beaucoup d’habileté, l’artiste combine les matières et les registres, l’intensité et la légèreté, à la manière d’un·e peintre qui maîtrise l’ensemble de sa palette. Laissant à celles et ceux dont son travail accroche le regard, le soin de s’engouffrer dans la matière, de s’emparer de son récit et de renouer avec une notion qui honore tout époque et toute civilisaton : la confiance, et son corolaire la solidarité.
Tel un hymne à l’irrésolution et à la foi.
Une invitation à enchevêtrer nos destinées et constituer, ainsi, de possibles embellies.
Laurence Perez
Photographie : Magali Dougados
Merci à Carla da Silva, Ha Cam Dinh, Benjamin Tavernier, Denise Wenger, Tatiana Lista et La Comédie de Genève.
Horaires:
capsule visible 24/7 depuis le passage des halles de lîle