Antanana
Jeudi 13 octobre - 18h
Fantasmagorie végétale à Antanana
Îl était une fois...une île. Comment ne pas être fasciné par l’idée de cet espace poétique clos, ce lambeau de terre cristallisant tous les fantasmes, ce lieu d’utopie par excellence ou ce « petit continent en abrégé » comme l’écrivait Victor Hugo ! Sans oublier la part de frisson qu’elle appelle, à la Robinson Crusoé abandonné sur son île déserte ! Sauf que cette île-là n’est ni imaginaire ni virtuelle. Ladina Gaudenz ne l’a pas rêvée, elle existe bel et bien, monde miniature égaré en plein Océan Atlantique, au large des côtes marocaines. Ses origines volcaniques, sa géographie incroyablement diverse entre des sommets déchiquetés, des déserts, des falaises abruptes plongeant à pic dans la mer 500 m plus bas, et l’exubérance étonnante et magnifique de sa végétation qui est tout à la fois méditerranéenne, subtropicale et souvent endémique grâce à son isolement insulaire, ont formidablement fécondé l’imaginaire de celle qui a fait de la nature sa grande inspiratrice. Pins, palmiers, figuiers de Barbarie, agaves, orchidées, cactées, dragonniers, papyrus... : la luxuriance de la flore de Ténérife est un enchantement vertigineux et baroque.
Force et fragilité étroitement mêlées, fugacité et éternel recommencement confondus, la nature est le grand sujet de la Grisone qui a ouvert les yeux au milieu du spectacle grandiose et menacé de ses Alpes natales. Sa manière d’appréhender l’homme et sa relation au monde, son empathie pour la nature sauvage et vulnérable viennent de là. Mais chaque paysage a son caractère propre et bien particulier. Dans la saturation végétale parfois étouffante d’Antanana, son sentiment de nature se fait profondément romantique et son « écriture » lyrique, tandis que sa palette se restreint volontairement à l’austérité du noir et blanc et que ses matières fluides évoluent dans un registre tout en légèreté, sans épaisseurs ni empâtements mais des estompages et des « lavages » qui rappellent les brouillards humides des montagnes tropicales. La peinture à l’huile demeure son arme favorite, mais c’est presque en dessinatrice qu’elle la manie ici. Comme dans une caverne mystérieuse, les photographies prises sur place en guise de croquis sont projetés dans l’obscurité de l’atelier, où seules la peinture noire et la térébenthine racontent, réinventent et recomposent plus grands que nature les efflorescences et les enchevêtrements profus. Tantôt rapide et nerveux, et tantôt précis et minutieux, le geste zigzague avec gourmandise entre le net et le flou, le réel et le virtuel, le figuratif et l’abstrait. Ici les cactus paraissent étrangement anthropomorphes, évoquant un groupe de personnes agglutinées, là les ombres se font denses et ténébreuses, et là-bas le vertige floral s’écarte pour ouvrir une trouée de lumière vers des lointains indicibles. Ce n’est pas d’un paysage qu’il s’agit ici, mais bien d’une fantasmagorie végétale.
Car plutôt qu’en séquences découpées tableau par tableau, c’est dans une totalité englobante que l’artiste fait pénétrer le visiteur, comme dans une forêt originelle. Impossible d’arrêter la prolifération végétale qui semble se produire en direct autour de lui, elle grimpe à même le mur, traverse l’angle pour investir la paroi contiguë, colonise l’espace, se fait installation, environnement. Pas de cadre donc, mais pas de toile non plus : tout est peint sur des bandes de scotch de carrossier collées sur les murs entre sol et plafond, les striant verticalement comme les falaises de Ténérife, découpant le profil accidenté de ses reliefs et suscitant une tension vers le haut. Sentiment d’immersion et d’étourdissement voluptueux dans un théâtre de verdure à la fois monumental et léger, foisonnant et éphémère !
Françoise Jaunin
mardi - dimanche : 14h/18h